Menu

Acceuil
Accéder au Forum Belle Voix
Biguine
Clarinettistes
Histoire de Rire
JazzMen
Mazurka
Necrologie
Nous Recherchons
Orchestres
Mon statut


ANTHOLOGIE
de la Musique Antillaise
(1929 - 1943)

La Biguine

La biguine, la valse et la mazurka créole constituent les trois genres principaux d'une musique qui traduit admirablement la spécificité hétérogène d'une société et d'une culture caractérisées par l'insularité (Martinique, Guadeloupe), le métissage ethnique et la persistance d'anciennes traditions françaises.
La biguine fait flore à Paris; entre 1918 et 1939 surtout grâce aux musiciens antillais, au clarinettiste martiniquais Alexandre STELLIO, au "Bal Colonial de la rue Blomet" et aux grandes expositions internationales de 1931 et 1937.
Les enregistrements réalisés à Paris entre 1929 et 1940 sont les plus intéressants, témoignant à la fois de la diversité des styles et des orchestres, biguine satirique, improvisations jazziques des orchestres de la Nouvelle-Orléans, influences de l'éclectisme parisien de l'époque.
(Patrick FRÉMEAUX)

PARIS - LE BAL DE LA RUE BLOMET Paris (XVème arr.), le bal nègre de la rue Blomet. Aquarelle de Sem, 1928. RVB-939957 .
© Roger-Viollet

DE SAINT-PIERRE A PARIS
A l'heure du quadrille, il ne s'agit presque plus d'une danse, mais d'une sorte de cérémonie rituelle, d'orgie sacrée, où tous les peuples communient dans la fureur qui règne dans les pays du Sud. Et l'homme blanc, le Français cultivé à la manière gréco-latine, qui regarde, sent et pourtant n'est pas emporté par le tourbillon, reste spectateur, gémit de se sentir si peu, si peu barbare, d'avoir le sang tellement refroidi.

Ainsi Roger Vailland, dans son article de Paris-Soir d'octobre 1930, nous suggère-t-il la fascination exercée à cette époque sur le public parisien par la musique et les danses créoles. Rompant avec le conformisme et la rigueur des danses latines et anglo-saxonnes, la biguine créait une révolution. Elle dévoilait aussi un nouvel aspect du Monde Noir, qui avait défrayé la chronique dès octobre 1925 lors du passage au Théâtre des Champs-Élysées de la "Revue Noire", révélant Joséphine BAKER à un Paris suffoqué. Quelle était donc cette biguine, dont le Tout-Paris commençait à s'enticher dès la seconde moitié des années vingt?

Le poète martiniquais Gilbert Gratiant, en un raccourci fulgurant, nous la présente comme ce "Par quoi Versailles à la Guinée s'unit, au cœur des Amériques". Meilleure image ne saurait symboliser la lente alchimie qui, en deux siècles et plus, fit se rencontrer et intimement mêler, à des milliers de kilomètres de leurs lieux d'origine respectifs, la musique de salon européenne et les battements syncopés de l'Afrique. Si la biguine ne se trouve nulle part ailleurs qu'aux Antilles Françaises : Martinique et Guadeloupe auxquelles on associe généralement la Guyane, le même phénomène insulaire qui la créa fit aussi naître le calypso à Trinidad, le son et la rumba à Cuba, le sega à la Réunion, le merengue à Saint-Domingue Il résultait de la merveilleuse faculté de l'oreille de l'esclave Noir à s'approprier la musique du maître Blanc dans ces îles ensoleillées où, pour vaincre leur ennui, les colons donnaient réceptions et bals dans leurs habitations ouvertes à tous vents. On y dansait, ainsi qu'à la Cour de France, le menuet, la gavotte, le quadrille... puis plus tard la valse, la polka, la mazurka... Certains , "nègres à talent" encouragés par leurs maîtres, ou mulâtres affranchis gravissant peu à peu l'échelle sociale, apprirent à jouer d'un instrument noble, à cordes d'abord: violon, mandoline, guitare puis, à partir du 19' siècle, à vent: clarinette, trombone, cornet -à piston... Ainsi, entre un folklore spécifiquement rural (chants de travail, laghia, bel air, lérose, calenda, haute taille ) d'une part, et d'autre part la musique savante européenne jouée d'abord par les Blancs créoles ou les musiciens de passage aux îles, on vit se développer dans les villes une musique métisse, foncièrement métisse comme le peuple antillais tout entier, et affichant ses traits de caractère : sa fougue, son ironie, son sens de la fête, sa sentimentalité aussi…

Après l'abolition de l'esclavage en 1848, la musique créole trouva son lieu de prédilection et de croissance à Saint-Pierre, ville florissante, capitale culturelle de la Martinique pendant tout le 19' siècle jusqu'à la catastrophe de sinistre mémoire qui la réduisit en cendres le 8 mai 1902, faisant en un éclair quelque 30 000 victimes. Saint-Pierre possédait depuis la fin du 18' siècle un théâtre où se donnaient des concerts, se jouaient des opéras, et où l'on organisait plusieurs bals annuels. Mais c'est dans les bastringues et les cercles de société que se façonnait véritablement la musique populaire de la cité. Dédiée essentiellement à la danse, elle ne tarda pas à se stratifier en ses trois genres fondamentaux : la biguine à deux temps, dérivé syncopé de la polka, la valse créole, emphatique, langoureuse, et la mazurka, à trois temps comme la valse mais s'en distinguant par les accentuations, comportant en outre deux parties en alternance, l'une alerte et enjouée, l'autre tendre et sentimentale "la nuit" donnant aux couples le prétexte de s'enlacer amoureusement. Pour compléter ce panorama, ajoutons encore le quadrille à commandements, resté plus vivace en Guadeloupe qu'à la Martinique, et la valse pasillo, légère et sautillante, venue d'Amérique Centrale. L'instrument par excellence de la musique antillaise était et reste encore sans conteste la clarinette, dont les grands interprètes ont toujours su exploiter l'expressivité, la richesse des nuances et variations. Les premiers orchestres comprenaient aussi le trombone, apte par ailleurs à drainer dans les rues les foules surexcitées lors des "vides" ou défilés de carnaval. Mais les instruments à cordes : guitare élégante, violon nerveux, violoncelle rageur, tenaient aussi une place de choix. Enfin, n'oublions pas l'incontournable "chacha", cylindre de fer blanc rempli de grenaille, dont des mains virtuoses et expertes savaient extraire un rythme puissant, envoûtant, tour à tour exalté ou lancinant, propre à enflammer les pieds des danseurs.
A Saint-Pierre, carrefour commercial de la Caraïbe, régnait tout au long de l'année une animation intense, tant du fait des voyageurs, négociants, marins, soldats de passage, que des joutes politiques acharnées que s'y livraient les habitants.
Et la raillerie populaire n'avait pas trouvé meilleur instrument que la chanson créole pour colporter dans tous les lieux publics, sur des airs de biguines, des paroles à l'humour savamment caustique relatant les faits divers de l'île. La créativité et la liesse populaires culminaient pendant plus d'un mois lors de la période du Carnaval, prétexte à toutes sortes de réjouissances:
Roger FANFANT, dirigeant son orchestre à l'ile des cygnes (Exposition Internationale de 1937) Assis, à la trompette, Maxime William
Roger FANFANT, dirigeant son orchestre à l'île des cygnes (Exposition Internationale de 1937) Assis, à la trompette, Maxime William
Bals, concerts et festivités souvent licencieuses, pour le plus grand amusement de tous. Et ces biguines se trouvaient ensuite reprises le samedi soir et le dimanche après-midi par les orchestres des bals publics où se côtoyaient les couches sociales les plus diverses. Beaucoup des airs satiriques de Saint-Pierre, répercutés de carnaval en carnaval, ont traversé les ans pour se chanter encore aujourd'hui. En Guadeloupe aussi existait avant 1900 une animation intellectuelle et artistique, notamment à Basse-Terre et à Pointe-À-Pitre qui eut son théâtre, construit en 1882 et détruit par un incendie quelques années plus tard. Cependant, si l'activité musicale dans cette île est bien connue à partir du 20' siècle avec des musiciens comme Armand SIOBUD et Roger FANFANT, on ne dispose guère d'informations sur les orchestres de biguine qui auraient existé dans cette Île avant 1900, alors que de nombreux chroniqueurs les signalent à la Martinique.
Plusieurs années après la destruction de Saint-Pierre, Fort-de-France, prenant le relais de la ville défunte, vit peu à peu son animation musicale se développer. Toutes informations sur les orchestres et musiciens de cette époque nous sont données par le précieux témoignage d'Ernest LEARDEE dans sa biographie "La Biguine de l'Oncle Ben's". Mais l'événement décisif se produira du jour où l'art des musiciens antillais se transportera et se fera connaître en Métropole, d'abord de manière confidentielle par d'anciens combattants de la guerre 1914-1918, puis quand le premier orchestre constitué, celui du clarinettiste martiniquais Alexandre STELLIO (de son vrai nom FRUCTUEUX Alexandre), ira véritablement lancer la biguine à Paris.

L'AGE D'OR DE LA BIGUINE
C'est fin septembre 1929 que sont réalisés à Paris par Alexandre STELLIO (1885-1939) les premiers enregistrements de biguine. L'orchestre comprenant Ernest LEARDEE au violon, Archange SAINT-HILAIRE au trombone, et Victor COLLAT au violoncelle, était arrivé de Martinique le 9 mai de la même année. Un autre musicien les avait accompagnés : le batteur et vocaliste Crémas ORPHELIEN, absent de cette séance inaugurale. Ce n'était pas le premier orchestre antillais à Paris, où fonctionnait déjà depuis 1924, dans l'arrière salle d'un café tenu par un Auvergnat, le "Bal Colonial de la rue Blomet" créé par un affairiste martiniquais accessoirement pianiste Jean REZARD-DESVOUVES, et animé par des musiciens antillais rescapés de la guerre de 1914. Mais le Martiniquais Laviolette avait voulu ouvrir à Paris un bal de bonne famille, le "Bal de la Glacière", et avait fait venir pour cela l'orchestre le plus en vogue à la Martinique.
Ernest LEARDEE (1896-1988), compagnon de STELLIO depuis 1919, date à laquelle ce dernier revint de Guyane pour s'installer dans son pays natal, se souvient très bien avoir participé chez le Maître, à son domicile de Fort-de-France, à des séances d'écoute intensive sur son phonographe, aux fins de noter et d'accommoder à la sauce martiniquaise les airs restitués par des disques provenant de Colombie, du Venezuela, ou des U.S.A.
C'est probablement ainsi qu'est née la biguine SEPENT MAIGRE, dont le style et la structure mélodique font penser à un ragtime, peut-être l'un des nombreux composés par Scott Joplin? "Serpent Maigre" était le surnom donné à Isambert, clarinettiste réputé de la Martinique à la fin du siècle dernier, surnom qu'aurait aussi porté Léon APANON, clarinettiste rival de STELLIO dans les années vingt.
Ernest LEARDEE en 1931

Ernest LEARDEE en 1931
A la manière des ensembles de la Nouvelle-Orléans, se détache le trombone vigoureux de SAINT-HILAIRE dans des contrepoints omniprésents, tandis que la clarinette et le violon se cherchent, se trouvent, se fondent et se séparent dans une poursuite effrénée ayant pour résultat une accélération considérable du tempo. Les disques de cette première séance historique eurent un succès retentissant et immédiat. Ce fut d'ailleurs la cause d'une grave dissension au sein du groupe, STELLIO s'étant catégoriquement opposé à un quelconque partage des substantielles royalties qu'il percevait de la firme ODÉON. La formation se dissout. STELLIO continue d'animer avec d'autres musiciens les samedis et dimanches du "Rocher de Cancale", restaurant-dancing du quai de Bercy, avant d'aller inaugurer en avril 1930 "La Boule Blanche", cabaret antillais ouvert par Monsieur Khan au 33 de la rue Vavin. Archange SAINT-HILAIRE reprend le bateau pour la Martinique et ne la quittera plus jamais.
Ernest LEARDEE prend alors la direction de l'orchestre du Blomet, rejoint par Victor COLLAT et ORPHELIEN. Il y restera près de deux ans, y tenant d'abord le violon, puis la clarinette après le départ de Robert CLAISSE, clarinettiste martiniquais des débuts de ce Bal. C'est le "Creol's Band" d'Ernest LEARDEE, dirigé pour l'occasion par Félix VALVERT, qui interprète la biguine LA GEORGI-NANA, composition due à André COLLAT (frère de Victor COLLAT et ami d'enfance qui initia Ernest LEARDEE au violon) sur des paroles d'ORPHELIEN. Ernest LEARDEE avait pu obtenir cette séance d'enregistrement grâce à son ami Félix VALVERT.

Au pied de l'immeuble où ce dernier habitait, au numéro 39 de l'avenue des Gobelins, existait une boutique d'édition et d'instruments de musique, tenue par les deux frères Bilon. Ceux-ci avaient aménagé dans leur arrière boutique un petit studio d'enregistrement, commercialisant leurs disques sous les étiquettes IVE et INOVAT. En janvier 1929, Félix VALVERT avait déjà enregistré chez les deux frères un solo de jazz au saxophone. Un an plus tard, Il organise cette séance pour Ernest LEARDEE, et se joint du même coup à l'orchestre, à la guitare et au saxophone alto. Dans ARMIDE, enregistré ce même jour, Félix VALVERT exécute un chorus de saxophone particulièrement hot, ponctué par le banjo véhément de Robert CHARLERY. En dépit de la qualité médiocre de la gravure et du pressage, on reste ébloui par le swing intense qui se dégage de cette belle prestation, digne de figurer dans une anthologie du jazz antillais. Étonnant parcours que celui de Félix VALVERT (né en 1905), Guadeloupéen passionné de musique dès sa plus tendre enfance. Le 2 septembre 1921, il s'embarque clandestinement avec un contingent de militaires sur le paquebot "Haïti" de la Compagnie Générale Transatlantique. Arrivé quinze jours plus tard à Saint-Nazaire, Il subsiste pendant sept mois comme chasseur puis caviste dans un hôtel, avant d'atterrir le 21 avril 1922 à Paris. Il exercera à nouveau pendant plus de quatre années le petit méfier de caviste dans un hôtel de Neuilly, trouvant le moyen de se payer des leçons de solfège et d'harmonie chez Jean-François Bruneteau, professeur du Conservatoire. incorporé en 1927, il fait son service militaire en Moselle, dans l'orchestre du 146, régiment d'infanterie de Saint-Avold où on lui affecte le pupitre de troisième trombone. libéré le 5 novembre 1928, Félix trouve en décembre une place de banjoïste au "Turketty", brasserie située à l'angle de la rue Saint-Jacques et du boulevard Saint-Germain. Pendant les fêtes de Noël de la même année, Il apprend en quelques jours à jouer du saxophone sur l'instrument oublié chez lui par un ami. Peu après cela, il décroche son premier contrat professionnel au "Jockey", à l'angle de la rue Campagne Première et du boulevard Montparnasse, où Il jouera comme saxophoniste alto du 9 février au 31 décembre 1929 avec le pianiste français Fernand MAILLARD, le batteur martiniquais Maurice BANGUIO, et le banjoïste anglais PARSON. De janvier à mars 1930, Félix VALVERT est boulevard Raspail au "Pélican Blanc", non loin de la place Denfert-Rochereau, dans l'orchestre du batteur Guadeloupéen Pierre JEAN-FRANCOIS comprenant également le trompettiste Trinidadien Cyril BLAKE et la martiniquaise Finotte ATTULY, future pianiste de STELLIO. C'est pendant cette période que se situe la fameuse séance INOVAT.

Ernest LEARDEE se met alors à rechercher une vraie maison de disques ayant pignon sur rue. Il la trouve au milieu de l'année 1930 en la personne de Francis Salabert. Celui-ci organisera une séance au cours de laquelle seront enregistrés pas moins de 12 titres, parmi lesquels les deux biguines PAMÉLA et MARACAÏBO. La formation est celle de la séance INOVAT, diminuée de Félix VALVERT, Gilbert BATUEL remplaçant Robert CHARLERY au banjo, et le chanteur ORPHELIEN étant cette fois aussi à la batterie. Les interprétations sont de la même veine, mais sonnant moins jazz du fait de l'absence du saxophone. L'ensemble est dominé par le violon infatigable de LEARDEE, qui nous délivre un magnifique chorus dans "MARACAÏBO.
Nous retrouvons STELLIO en décembre 1930 avec deux titres: A SI PARÉ et SOIGNÉ I BA MOIN. Le premier est une biguine des années vingt, due en réalité à la vocaliste de la séance, Léona GABRIEL (1891-1971), bien que le nom de STELLIO soit mentionné sur "l'étiquette".
Les paroles expriment l'amertume d'une femme créole délaissée par son amant. Le second titre, également signé abusivement de STELLIO, est une authentique mazurka de Saint-Pierre, figurant d'ailleurs dans le recueil de "Chansons Créoles d'avant 1902 que le musicologue martiniquais Victor CORIDUN fit paraître en 1929.
Léona GABRIEL en 1921 Léona GABRIEL en 1921
Le titre suivant, C'EST BIGUINE interprété par le nouvel orchestre de "La Boule Blanche" est en réalité le paseo "Bajan Girl" que son compositeur, le pianiste Trinidadien Lionel BELASCO enregistra à New-York sur disque VICTOR le 7 septembre 1915 distançant d'une bonne longueur ses homologues martiniquais. Le clarinettiste entendu est le jeune Eugène DELOUCHE (1909-1975) dont Madame STELLIO nous a raconté que son mari lui même sur le point de quitter "La Boule Blanche" pour l'Exposition Coloniale, le signala à Monsieur Khan qui le fit venir spécialement de la Martinique L'orchestre est dirigé par deux Martiniquais le banjoïste Robert CHARLERY et le batteur Maurice Banguio (1905-1965).
Énigmatique orchestre que celui du batteur martiniquais Paul DELVI et de son acolyte d'origine américaine Henri MATEO né le 19 avril 1895 à Washington, qui enregistre pour la première fois le 23 octobre 1931 la biguine BA MOIN EN TI BO DOUDOU, mais dans une version ô combien plus pittoresque que la plupart de celles dévolues par la suite à la promotion touristique des Antilles. Ce classique de la biguine est ici chanté de façon truculente un peu à la manière d'un blues, la voix de Paul DELVI s'y prêtant d'ailleurs merveilleusement. Le morceau suivant, ROBES A QUEUS, nous permet de rendre justice au premier orchestre Guadeloupéen ayant enregistré à Paris, et dont la base était constituée des trois frères MARTIAL : Bruno le batteur (1912-1984), Claude le banjoïste (1913-1991), et Tom le pianiste et chef d'orchestre.
Un commissaire de l'Exposition Coloniale, conquis après avoir entendu le "Tommy jazz" à Pointe-à-Pitre, avait assuré les musiciens de leur engagement l'année suivante à l'Exposition pour y animer le Pavillon de la Guadeloupe. C'est finalement STELLIO, sur place à Paris et bénéficiant d'appuis influents, qui réussit à décrocher le contrat.
Orchestre de STELLIO à l'Exposition coloniale de 1931
Le temps passait et les musiciens ne voyaient toujours rien arriver. Rêvant d'une consécration dans la Capitale dont leur parvenaient les échos amplifiés de l'Exposition ouverte le 6 mai 1931, les jeunes intrépides, dont la moyenne d'âge dépassait à peine vingt ans, ne s'avouèrent pas vaincus pour autant. Il se trouva à ce moment-là que les parents des trois frères Martial décédèrent à peu de temps d'intervalle. Les biens familiaux furent vendus, partagés, et servirent à payer leur traversée vers la France ainsi que celle de Maurice NOIRAN, clarinettiste martiniquais de passage en Guadeloupe enrôlé par le chef d'orchestre.
Les accompagnaient aussi - mais voyageant à leurs frais - Gaston DAVID (violoniste et contrebassiste), sylvio SIOBUD (saxophone alto), et Gérard COLLETAS, second violoniste de l'orchestre. Cruelle déception à l'arrivée : les sept amis voient l'Exposition fermer ses portes le dimanche 15 novembre 1931!
En décembre, l'orchestre au complet se réunit dans les studios PARLOPHONE pour son premier enregistrement, seul témoignage qui nous reste du pianiste Tom, décédé le mois suivant des suites d'une pneumonie. Nouvelle péripétie : à leur retour du studio de prise de son, les compagnons d'infortune trouvent un autre orchestre engagé à leur place dans la brasserie où ils jouaient le soir, boulevard Montmartre. Le patron avait imaginé, en constatant la disparition de la batterie, que ses musiciens lui avaient fait faux bond!

A notre connaissance, il n'existe qu'une seule séance enregistrée en 78 tours par une authentique formation Guyanaise, séance d'où est extrait MOUVEMENTS d'AVIONS, morceau composé en 1923 par Edgard NIBUL, alias Samuel LUBIN, né le 19 septembre 1862 à Cayenne et décédé le 7 avril 1948 dans la même ville. Edgard NIBUL, admis sociétaire de la SACEM le 2 juin 1888, est le musicien poète national de la Guyane, où la ville de Cayenne lui a donné sa rue. Ces précieux renseignements nous sont indiqués par Jacques LUBIN, petit-fils du compositeur, et par Hélène BRUNET, cantatrice et pianiste Guyanaise née le 9 décembre 1904, qui interprète les paroles dans l'orchestre du guitariste Henri VOLMAR.

Nous retrouvons en janvier 1932 l'orchestre de Paul DELVI avec un vieux refrain Martiniquais : DU FEU PRIS EN TETE MAN NORDÉ, c'est-à-dire textuellement : le feu a pris sur la tête de madame Nordé. Voilà un exemple cocasse de l'humour créole qui, pour se moquer de la rareté et de la rousseur de la chevelure d'une dame chabine, institutrice de surcroît, prend le prétexte qu'un incendie s'est déclaré au sommet de sa tête ! La formation de Paul DELVI est cette fois très étoffée, avoisinant dix musiciens, et se démarque des précédents enregistrements de musique antillaise par une sonorité cuivrée et un schéma rythmique aux syncopes réglées, plutôt pauvre en swing, laissant peu de place à l'improvisation, et faisant penser en cela aux orchestres de jazz "straight", encore en vogue à l'époque. Nelly LUNGLA, elle aussi, arriva très tôt à Paris, plusieurs années avant STELLIO et LEARDEE, Ce dernier nous raconte qu'elle fut plus ou moins forcée de quitter son île natale, subissant les persécutions de ses congénères à la suite du fait-divers qui inspira à STELLIO la biguine "Mussieu Satan fâché". Après la seconde guerre mondiale, Nellv LUNGLA devint une habituée de la "Canne à Sucre" où l'on pouvait encore la voir, présentant son quadrille Antillais, peu de temps avant sa, mort survenue le 15 février 1984. Dans MÉ GADE YO, enregistré avec le chœur antillais de "La Boule Blanche", Nelly LUNGLA nous donne, de sa belle voix teintée de nostalgie, une très émouvante version de ce classique Martiniquais.

Avec la biguine GROS SOU, composée par le guitariste guadeloupéen Pollo MALAHEL et enregistrée pour la marque confidentielle SONABEL, celui ci nous donne un premier aperçu de son talent. Ce duo de guitares, tel probablement qu'on les exécutait pour donner la sérénade aux belles de Guadeloupe, est mené magistralement par le compositeur et son compatriote Benjamin GERION, dont le neveu Valentin GERION fut l'un des plus éminents guitaristes Antillais de l'après-guerre. Pollo MALAHEL montre déjà son incomparable maîtrise technique, son extraordinaire virtuosité alliée à une intuition innée du rythme et de l'harmonie.

Autre orchestre guadeloupéen que celui d'Alexandre KINDOU, dans une formation probablement recrutée à Paris lors d'un séjour du clarinettiste en Métropole. Celui-ci était à Pointe-à-Pitre l'un des musiciens réguliers du "Monte-Carlo Cristal Palace", dancing exploité au 108 de la rue Frébault par Monsieur PAJANIANDY père.

Alexandre KINDOU resta plus d'un an en Métropole, jouant à Paris au cabaret "La Savane", mais se déplaçant aussi en province. Bien que l'orchestre soit guadeloupéen sur l'étiquette, la biguine CÉLESTIN ROI DIABLE, enregistrée en juillet 1932, est cent pour cent Martiniquaise puisqu'il s'agit d'une chanson politique tournant en dérision l'un des maires de Saint-Pierre d'avant la catastrophe. C'est Mlle Estrella, alias Léona GABRIEL, qui nous en donne les paroles, terminant sa chanson par le refrain composé en l'honneur de Colby, cet aéronaute américain qui stupéfia les habitants de Saint Pierre avec sa montgolfière.

KRAKADOR BON TI COIN CAPESTERRE LA, composition de Tom MARTIAL, est un curieux "duo de piano de jazz" exécuté, comme nous l'a indiqué Claude MARTIAL, par lui-même et son frère Bruno en février 1933, en souvenir de leur frère aîné disparu juste un an auparavant. Et voici à nouveau STELLIO avec ETI TINTIN, autre classique de la biguine postérieur à la catastrophe de 1902, chanson politique racontant les mésaventures d'un Martiniquais qui avait voulu se faire élire député. A l'époque de cet enregistrement, STELLIO se produisait à "L'Élan Noir", cabaret fondé à la fin de l'année 1931 par Ernest LEARDEE au 124 boulevard Montparnasse. Les couplets sont chantés par Paul MATHIAS dont le style n'est pas sans rappeler celui d'Orphélien.

C'est bien Orphélien cette fois que nous retrouvons dans l'orchestre du batteur guadeloupéen André MATOU (décédé en 1988) pour chanter avec beaucoup d'allant TI JOSEPH A JOSÉPHINE. C'est aussi pour nous l'occasion de découvrir le trompettiste guadeloupéen Abel BEAUREGARD (1902-1958), qui signe cette composition, et dont le style fluide et la sonorité discrète sont dans la ligne de la trompette cubaine. La formation d'André MATOU se révèle d'une parfaite cohésion, et l'on y relève en particulier le jeu véloce, souple et puissant d'une contrebasse débordante de swing.

C'est par l'orchestre cubain du clarinettiste et flûtiste Filiberto RICO, que commence le second disque avec MOIN AIMÉ DOUDOU MOIN, autre biguine d'Abel BEAUREGARD enregistrée en juin 1934. Le trompettiste est d'ailleurs présent dans l'orchestre. La grande similitude d'interprétation nous laisse supposer que cet orchestre comprend très certainement plusieurs autres éléments de la formation d'André MATOU qui avait enregistré six faces chez PATHÉ le mois précédent.

Avec GEPE KA PIKÉ, nous retrouvons Pollo MALAHEL dans l'orchestre d'Eugène DELOUCHE dont il deviendra dès lors le guitariste régulier. Tout au long de leur collaboration, les deux musiciens graveront ensemble une quarantaine de faces dont plusieurs exemples sont donnés dans la suite de l'album. Dans cet enregistrement datant de 1934, le jeu de Pollo MALAHEL, sur une guitare métallique à quatre cordes avec résonateur, exprime des accents sauvages qui, dialoguant avec la clarinette typique d'Eugène DELOUCHE, confèrent à l'ensemble une étrange coloration.

Les deux titres suivants, CAMÉLIA et RENÉE, sont enregistrés en février 1935 par l'orchestre de STELLIO, de retour à "la Boule Blanche". CAMÉLIA est l'une des deux rumbas jamais gravées par le Maître, seules infidélités qu'il ait faites dans sa discographie - et encore avec un soupçon de biguine sous-jacente - à sa chère musique martiniquaise. Cette incursion de STELLIO dans le genre cubain est sans aucun rapport avec les chefs d'œuvre réalisés par un Don BARRETO, un Oscar CALLE ou un CASTELLANOS. La rythmique de l'orchestre, où domine le chacha et manquent les claves, confère à la rumba une allure de danzon. La biguine RENÉE, signée de STELLIO, fut enregistrée la même année chez ULTRAPHONE sous le titre DOUVAN JOU, par l'orchestre du Bal Blomet.

Bien plus fidèle au style cubain est dans son interprétation la habanera MARTINIQUE, exécutée de façon somptueuse par l'orchestre d'Eugène DELOUCHE en octobre 1935, peu après son retour de la Martinique où il venait d'animer les manifestations officielles du Tricentenaire du rattachement des Antilles à la France. On y rencontre pour la première fois le batteur Martiniquais Robert MOMMARCHE et le pianiste René LEOPOLD, à qui nous devons de connaître la composition de l'orchestre. Leur association avec Pollo MALAHEL et Eugène DELOUCHE donnera naissance aux plus purs joyaux de la musique antillaise enregistrée. On notera dans cet enregistrement la belle assise fournie par la contrebasse souple et ronde du cubain German Araco. C'est le même ensemble qui enregistre le mois suivant COMPLAINTE, l'une des nombreuses valses dont Eugène DELOUCHE s'était fait une spécialité, et où le clarinettiste nous révèle la pureté et la finesse de sa sonorité dans l'aigu.
Et voici l'orchestre du "Bal Blomet", celui qui avait succédé à Ernest LEARDEE après son départ a "L'Élan Noir". Cet orchestre avait à sa tête le pianiste martiniquais Louis JEAN-ALPHONSE (1905-1981), connu après la fin de la guerre de 1939 sous le pseudonyme d'Alphonse. Fils d'un bijoutier basque émigré à Fort-de-France et qui y avait épousé une Martiniquaise.
Sosso Pé-En-Kin chantant l'une de ses chansons à la radio en 1937. Assis, avec un tambourin, le clarinettiste Michel BERTE.
Sosso Pé-En-Kin en 1937. Assis, avec un tambourin, le clarinettiste Michel BERTE.
Louis JEAN-ALPHONSE arrive en Métropole en 1921 pour s'y orienter en principe vers des études de droit. Consacrant en réalité son temps à se perfectionner au piano, il ne tarde pas à s'intégrer à divers orchestres, jouant plus tard avec STELLIO et Sam CASTENDET. En 1932, Louis JEAN-ALPHONSE devient un régulier du "Bal Blomet". Il s'attache la collaboration fidèle du clarinettiste Maurice NOIRAN qui, après avoir quitté les frères Martial, avait travaillé un temps avec STELLIO à "La Boule Blanche". Dans l'enregistrement de NEGUES BON DÉFENÇEUS, réalisé au début de l'année 1936, on découvre la voix du Guadeloupéen Sosso Pé-En-Kin - de son vrai prénom Solange - chanteur des rues de Pointe-à-Pitre arrivé depuis peu à Paris puisqu'il mentionne dans sa chanson un fait divers survenu en Guadeloupe à la Noël 1935. Ses paroles font allusion à la guerre de 1914 et à celle engagée par l'Italie en 1935 avec l'Éthiopie. Elles déplorent le triste destin des Noirs, faisant souvent office de chair à canons dans les conflits internationaux de cette époque.
Étrange prémonition! Envoyé sur le front au début des hostilités de 1940, Sosso Pé-En-Kin y fut très grièvement blessé. Hospitalisé à Paris, il dut être amputé successivement des deux jambes avant de mourir des suites de ses blessures.
Le titre suivant BOSSU DOUDOU est tiré de la seule séance réalisée dans les années trente par l'orchestre du clarinettiste Samuel "Sam" CASTENDET (1906-1993). Il avait remplacé STELLIO à l'Exposition Coloniale à la mi-octobre 1931 pour lui permettre d'aller ouvrir, au 12 rue de l'Arrivée, son propre cabaret "Le Tagada-Biguine", fermé peu après puis rouvert le 15 novembre 1932 sous le nouveau nom de "Madinina Biguine". En 1932, on trouve Sam CASTENDET au "Bal Blomet", puis à "L'Élan Noir". Il part ensuite en province, dans un périple de plusieurs années, se fixant un temps à Bordeaux puis à Toulouse. En 1935, il revient à Paris pour jouer au "Mikado" sur le boulevard Rochechouart. En 1936, Sam CASTENDET est dans le Nord au "Sing Sing", le cabaret de l'hôtel Normandy au Touquet-Paris-Plage. C'est son orchestre de six musiciens, composé pour moitié seulement d'Antillais, qui joue ce vieil air de Saint Pierre, chanté par le chef d'orchestre en personne, faisant allusion à ce galant qui, pour se rendre incognito chaque soir chez sa doudou, se déguisait en se mettant une bosse sur le dos.


Carton d'Invitation au "MADININA-BIGUINE" pour sa réouverture par STELLIO le 15 novembre 1932

Un soir au "MADININA-BIGUINE" en 1932. Debout, derrière le comptoir, Madame STELLIO
Nous retrouvons en février 1937 la même formation d'Eugène DELOUCHE qui avait enregistré "Complainte" en 1935. D'abord dans une autre de ses meilleures valses, NAOMI, exécutée avec une exceptionnelle élégance, et témoignant de la recherche de l'arrangeur dans la succession et la combinaison des différentes parties de guitare, de clarinette et de piano. René LEOPOLD nous y livre un chorus de seize mesures de piano tout à fait grandiose. Le second morceau de la même séance est une biguine, LES DEUX JUMEAUX, composée par Pollo MALAHEL en l'honneur de ses deux enfants, un garçon et une fille nés un même jour de l'année 1934. Cette interprétation, d'une grâce et d'une sensibilité extrême, est peut-être le plus beau fleuron de la biguine enregistrée, Une compréhension totale règne entre les musiciens, tous en état de grâce. On peut alors apprécier à sa juste mesure l'inspiration féconde et transcendante de Pollo MALAHEL, à la sonorité pure comme le cristal, donnant d'abord le ton dans une introduction pleine d'invention et de délicatesse, puis développant des solos somptueux, des accompagnements ou des ornements au swing contenu et au tempo d'une implacable sûreté. Le jeu du pianistique de René LEOPOLD s'y adapte parfaitement, riche, fluide, utile et nuancé, d'une mobilité vivifiante dans les basses. Quant à Robert MOMMARCHE, il use d'un style sobre, dépouillé, aux pulsations précises et au swing sans défaut. La rumba SOUS LES TROPIQUES, exécutée deux mois plus tard par une formation d'Eugène DELOUCHE légèrement remaniée, est la face PATHÉ couplée au fox-trot "My Heart" qu'on trouvera dans l'excellente réédition de jazz antillais publiée chez EMI dans la série "Jazz Time". Eugène DELOUCHE est cette fois au saxophone alto, jouant dans le style cubain avec beaucoup de vérité.

Avec la mazurka SOUVENIRS DE SAINT PIERRE, nous retrouvons Maurice NOIRAN et Louis JEAN-ALPHONSE en mai 1937 dans l'orchestre du Bal Blomet. On notera la parenté frappante des styles de clarinette de Maurice NOIRAN et de STELLIO, que le premier eut pour modèle tout au long de sa vie et parvint souvent à surpasser. L'orchestre suivant est celui du violoniste guadeloupéen Roger FANFANT (1900-1966) qui se déplaça à Paris avec ses sept musiciens pour animer le Pavillon de la Guadeloupe à l'Exposition Internationale des Arts et Techniques, pendant tout l'été 1937. C'est au Centre des Colonies et Dépendances d'Outre-Mer, situé dans l'île des Cygnes, que jouèrent dans des pavillons voisins l'un de l'autre l'orchestre de Roger FANFANT et celui de STELLIO également engagé pour cette occasion. La renommée de Roger FANFANT était déjà parvenue en Métropole puisqu'un court article, accompagné d'une photo de l'orchestre, avait été publié dans le numéro de mars 1935 de la revue musicale "Jazz Tango". Avant de repartir pour la Guadeloupe, l'ensemble enregistra le 13 octobre 1937 pour les disques PATHÉ six titres signalés dans le supplément d'avril 1938 du catalogue de la marque. L'un de ceux-ci est la fameuse biguine TOULOULOU, aujourd'hui devenue un classique du répertoire Antillais, composée en Guadeloupe par le tout jeune et précoce Albert LIRVAT qui y avait formé un orchestre de lycéens "Los Creolitos". En 1937, Albert LIRVAT se trouvait déjà à Paris, y étant arrivé en décembre 1935 pour y suivre des études d'ingénieur dans la radio, études bientôt abandonnées pour se consacrer entièrement à la musique. Le second titre réédité est une rumba, JEANNE ET MARCELLE, exécutée magnifiquement dans un pur style cubain, prouvant s'il en était besoin l'interpénétration des genres musicaux des différentes îles de la Caraïbe. Tout le morceau est dominé par la trompette finement ciselée de Maxime WILLIAM, musicien d'une île anglaise (probablement la Jamaïque) arrivé en Guadeloupe au début des années trente dans le prodigieux orchestre du cirque Urrutia. Le guitariste Élie CHAUDREAUX possédait parait-il une technique stupéfiante, rivalisant avec celle de Pollo MALAHEL, et acquise au Venezuela où il séjourna plusieurs années. Quant à Édouard PAJANIANDY, pianiste, clarinettiste et saxophoniste bien connu en Guadeloupe sous le nom de MARIEPIN, il nous a raconté que Roger FANFANT l'engagea spécialement pour cette occasion, en remplacement de la pianiste régulière de l'orchestre, Madame THERMES, professeur de piano classique à Pointe-À-Pitre, qui n'avait pas souhaité entreprendre la traversée.

Roger FANFANT, dirigeant son orchestre à l'île des Cygnes (Exposition Internationale de 1937) Assis, à la trompette, Maxime WILLIAM.

Orchestre de Roger FANFANT à l'Exposition Internationale de 1937 de gauche à droite: Roger FANFANT (vin), Elie Chaudreau (guit), Maxime William (tp), Roger Cité (batt), Edouard PAJANIANDY (pno), Staël Gabali (sax alto), Robert MAVOUNZY (sax tenor), Robert FANFANT (maracas)

Le titre suivant MA GOULOU GOULOU est un cassé cô, air de danse du folklore, interprété de façon très humoristique en novembre 1937 par le couple formé de Marcel YAMBA et de Maïotte ALMABY. On sait peu de choses du premier, chanteur et danseur martiniquais qui accompagna Sam CASTENDET dans sa tournée en province après l'Exposition Coloniale. Maïotte ALMABY, née en France en 1890 de parents Martiniquais, fit à Paris des études de chant et de violon classique et y obtint un premier prix de conservatoire. Après un séjour à la Martinique où elle se maria en 1921, elle regagna la Métropole pour y poursuivre sa carrière de compositrice et d'interprète. "Madiana", son oeuvre la plus connue, fut enregistrée dès 1931 par Joséphine BAKER qui la chanta aussi en 1933 sur la scène du Casino de Paris. En novembre 1935, Maïotte ALMABY fut célébrée à l'Opéra de Paris lors de la mémorable nuit de gala du Tricentenaire des Antilles, à laquelle participa également l'orchestre d'Alexandre STELLIO. Maïotte ALMABY mourut prématurément à Paris en juin 1939 des suites d'un cancer.
1-2-3 A LA VANDÉ, créolisation de "en avant deux", est un quadrille à commandements, ou plus précisément sa quatrième figure, la pastorelle. Ce morceau pittoresque, curieuse survivance des bals européens de l'ancien temps, est enregistré en février 1939 par l'orchestre de Sosso Pé-En-Kin avec le clarinettiste Michel BERTE, Blanc créole de la Martinique qu'on entend ici pour la première fois.

Nous retrouvons Michel BERTE et le pianiste Alphonso dans les deux derniers titres de l'album, enregistrés un même jour d'avril 1940. L'orchestre intitulé "L'Exotique jazz" est celui du Bal Blomet. SUR LES FLOTS AUX ANTILLES est une valse interprétée avec pompe et grandiloquence par le clarinettiste au vibrato un tant soit peu exagéré, valse non dénuée de charme cependant. Le morceau POT-POURRI BIGUINE est plus intéressant. Cette dernière biguine, jouée sur un rythme faisant davantage penser à une marche ou à une polka, nous donne une meilleure idée de l'imagination et des possibilités techniques de Michel BERTE, musicien peu connu et de grand talent, qui joua pendant plusieurs années au Bal Blomet après la fin de la guerre, avant de se noyer accidentellement au cours d'un séjour à la Martinique.
Cette période 1929-1940, dans ses trois premières années notamment, peut sans aucun doute être qualifiée d'âge d'or de la biguine, d'une part en raison du succès retentissant rencontré par ce genre musical auprès de tout le public européen, mais aussi parce que les musiciens antillais émigrés à Paris, baignant dans le milieu cosmopolite de la Capitale et y subissant toutes sortes d'influences, donnèrent à la biguine, dès le début de cette période, l'impulsion fondamentale qui la fit passer du stade de folklore à celui de genre musical à part entière. Ainsi peut-on dire que la biguine fut plus influencée par le jazz, empruntant à celui-ci une partie de son style et de ses instruments, que ce dernier ne le fut par elle, bien que cet effet inverse ait indéniablement existé. Il est vrai que le jazz était arrivé le premier à Paris, et que le développement d'un genre de musique original aux Antilles avait subi, au plus fort de son expansion, un coup fatal avec la disparition de Saint-Pierre. Ce développement ne retrouva jamais plus par la suite un terrain et des conditions aussi favorables. Peut-être - il est loisible de l'imaginer -, les choses auraient-elles évolué de façon complètement différente si, un certain matin de mai 1902, le vieux démon de la Montagne Pelée ne s'était pas soudainement réveillé...

Jean-Pierre MEUNIER a découvert la musique antillaise il y a vingt ans, en débutant une collection de disques 78 tours. Séduit par les Antilles et passionné de leur musique, il a entrepris d'en reconstituer le patrimoine enregistré de 1929 à 1956, période correspondant au disque 78 tours (plus de 700 disques répertoriés). J.-P. MEUNIER a recueilli les souvenirs de nombreux musiciens pionniers de la biguine. Il est co-auteur, avec Brigitte LEARDEE, d'une biographie d'Ernest LEARDEE "La Biguine de l'Oncle Ben's" (éditions Caribéennes). J.-P MEUNIER rassemble aussi les partitions de musique antillaise de cette époque, et a pu réunir une exceptionnelle collection de plus de deux mille photographies de musiciens et d'orchestres antillais.

REMERCIIEMENTS :

Si ce disque a pu voir le jour, c'est parce qu'à un moment ou l'autre de nos investigations, dans le cadre d'un travail plus vaste qui se concrétisera ultérieurement, nous avons bénéficié du soutien amical et désintéressé d'une multitude de personnes rencontrées sur notre chemin.

Pour le précieux disque retrouvé, la photographie ressuscitant l'image du musicien disparu, pour le livre ou le document d'époque, pour le contact établi, le témoignage vécu ou le savoir partagé, ou encore simplement pour l'enthousiasme et les encouragements, que tous ici soient remerciés:

Louis-Thomas ACHILLE, Krikor Alexanian, Jenny Alpha, Mme Émilien Antile, Alain Antonietto, Léon APANON, Alice Banguio, Émilio Barreto, Philippe Baudoin, Mme Abel BEAUREGARD, Roger Benamou, Édouard Benoit, Loulou Boislaville, Alain Boulanger, Gaston Brun, Hélène Brunet, Sully Cally, Marie-Madeleine Carbet, Frantz Charles-Denis, Michel Chevallier, Émilio CLOTILDE, Rémi Collat, Roger Collat, Gérard Colletas, Barel COPPET, Dominique Cravic, Jacques David, Maurice Desrame, Suzanne Domiquin, Marcel Dorina, Antoine DUTEIL, Eugène Eugénia, Guy FANFANT, Olga Foulquier, Antoine FRANCONY, Valentin Gérion, Henri Godissard, Liliane Harley, Marcelle Hervé, André JACARD, Patrick JEAN-ALPHONSE, Alain Jean-Marie, Gérard Kiavué, Dany Lallemand, Pierre Lamidiaux, Pierre Larotte, Éléonore Laval, Gérard LAVINY, Brigitte LEARDEE, René Léopold, Albert LIRVAT, Maurice LONGRAIS, Éliane Louise, Bibi Louison, Jacques Lubin, Sylvie Mamie, Fréjus Mauvois, Marcel Mavounzy, Henri Merveilleux, Louis Mogère, Bib Monville, Childebert Mourinet, Marcel Mystille, Auguste Nabajoth, Daniel Nevers, Sully O'Neil, Aurélie Orus, Narcisse Orville, Édouard PAJANIANDY, Roland PATERNE, Lucien Popote, Marie-Paule Porsan, Lionel Risler, Moune DE RIVEL, Gérard Roig, Gilles Sala, Bertin Salnave, Jack-y Samson, Gertrude Seinin, Armand SIOBUD, Sylvio SIOBUD, Marcel Soubou, Roger Thélémaque, Patrick Tricoit, Félix VALVERT, Hilton Wiles.

Ceux qui auraient été malencontreusement oubliés voudront bien nous pardonner.

Ne figurent hélas pas dans cette liste bon nombre de musiciens et amis qui, depuis le début de notre recherche, se sont déjà esquivés vers un monde réputé meilleur. Nous avons la conviction que, là où ils se trouvent aujourd'hui, leur parviendront les échos de notre reconnaissance et de cette musique, la leur, qu'ils nous ont laissée en héritage.
(Jean-Pierre MEUNIER)

Direction Artistique: Jean Pierre MEUNIER et Dominique Cravic / Production Artistique: Noël Hervé
Texte: j.p. MEUNIER / transferts et mastering: lionel Risler / Composition: Espace S.A.
Production: Patrick Fremeaux et Claude Colombini pour Fremeaux & Associes S.A.
Administration: Sophie Pascual / Fabrication: DADC SONY / REF. FA007
BIGUINE VALSE ET MAZURKA CREOLES (1929 - 1940)
BIGUINE VALSE ET MAZURKA CREOLES (1930 - 1943)